Merhaba !
Camilo ici.
J’ai psychoté toute la nuit à cause de mon matériel d’alpinisme : en fin des comptes je suis juste un gars qui veut passer la frontière avec une grosse pioche bien en vue et un couteau dans le sac (plus toute la ferraille qui va avec). Finalement les deux hispanophones (vénézuéliens ?) qui croyaient ne pas avoir besoin d’un visa ont eu bien plus de soucis que moi.
Les interruptions du sommeil ne sont pas le mieux pour garder un visage reposé et c’est avec une tête de zombie que j’arrive à Halkali. Malheureusement le train ne va pas jusque dans Istanbul, je cherche encore à comprendre pourquoi… C’est une navette qui nous amène, personne ne semble savoir où elle est, mais tout le monde suit tout le monde et on finit par y tomber dessus. C’est une habitude que je vais devoir prendre à partir d’ici : je ne sais pas vraiment ou je vais mais finalement j’arrive là où il faut, enfin plus ou moins.
A la gare de Sirkeçi j’essaie de réserver mon train pour Ankara, je ne veux pas m’inquiéter toute la journée pour mon moyen de transport. Surprise, tous les trains sont pleins ! et pendant les prochains quatre jours ! Putain ! mierda ! e vaffanculo ! Ah ces belles expressions que j’ai appris à utiliser en plusieurs langues. Rien à carrer je vais monter sur le train de 17h30 avec ou sans ticket et puis on verra bien, ils ne vont pas me jeter du train en mouvement ! n’est-ce pas ?
Je me console en regardant les chats qui semblent être omniprésents. Ces petites boules de poils adorables qui me ruinent à cause de mes allergies. A rien ne sert de trainer dans cette gare et je laisse mon sac dans le dépôt bagages. Je ne pars pas avant de faire connaissance avec deux filles qui arrivent d’Arménie et qui rentrent à Paris, elles aussi par voie terrestre. Je suis ravi de voir encore des gens qui choisissent le voyage lent, plutôt que la course frénétique d’un tourisme aussi efficace que vide.
Je vais revenir à Istanbul sur mon chemin de retour donc je décide de prendre tout mon temps et visiter peu de choses tranquillement. Cette ville, je n’y connais rien mais elle m’inspire et je ne veux pas passer les couloirs d’Hagia Sophia en courant, ni gâcher une promenade dans la cour du Palais Royale avec un horaire trop serré. Je vais me limiter à visiter la Mosquée Bleue me balader, découvrir l’inattendu, profiter et revenir pour le reste quand je ne serai pas oppressé le chronomètre.
La place de Sultan Ahmed est à peine à 15 minutes (allez 20 car j’ai la tête en l’air) de la gare de Sirkeçi. C’est l’Endroit touristique : place immense, verte avec une magnifique fontaine au milieu, la Mosquée bleue à ma droite et Hagia Sofia à ma gauche. Mais ça sur le moment je ne le sais pas et je me dirige vers Hagia Sofia en me disant que cette Mosquée Bleue est vachement rouge. Oui le réveil à la frontière a vachement perturbé mon repos ! Pour compléter le cadre du mec paumé, je loupe l’entrée immense, remplie de touristes et je visite des tombes sur le côté d’Hagia Sofia: cette Mosquée Bleue n’a rien à voir avec ce que je pensais. Enfin bref entre les trains pleins, la fatigue et ma tête en l’air cette journée s’annonce mouvementée.
Peu importe Hagia Sofia, Mosquée Bleue ou Mausolée, l’architecture, le décors, l’ambiance sont exaltantes. C’est bon je suis aux portes de l’Europe, je sors, je m’en vais découvrir ce monde et il a de quoi offrir ! Toutes ces coupoles, les minarets, l’attention dans les détails, le bruit des vendeurs, la foule agitée, l’odeur de maïs grillé ! Oh le maïs grillé me ramène droit, en une seconde à mon enfance. Un épi de maïs grillée, avec un chouïa de beurre et du sel, et moi je suis heureux. C’est le chaos dans cette ville, mais un chaos agréable. Fatigant et pourtant plaisant.
Dans ce gros bordel peu de gens parlent anglais et encore moins ont la patience de s’arrêter parler. Quoique en y pensant aujourd’hui c’était peut-être moi qui ne trouvais pas l’envie. Ce n’est pas grave dans la foule je repère un gars et une fille, ils sont jeunes, full énergie, ça se voit. Leurs vélos sous la main et peu de bagages. C’est deux hollandais (je croise beaucoup d’hollandais…) qui sont venus ici à vélo et qui vont rentrer à vélo. Encore des gens avec l’envie de voyager, pas juste collectionner les destinations !
Ils me font penser à ce couple de fous, rencontrés au bon milieu du Salair d’Uyuni. Deux silhouettes roulantes sur le blanc aveuglant, parties d’Alaska 9 mois plus tôt, avec plus de 55 ans sur leur dos et lourds des souvenirs de voyage ils se déplaçaient avec la légèreté des oiseaux marins.
Après des longues divagations je me décide d’aller voir la vraie Mosquée Bleue, l’immense bâtiment entouré de minarets et, effectivement, bleue que j’avais totalement ignoré jusque-là.
Je me retrouve vite bloqué à l’entrée, la prière va bientôt commencer et seulement les croyants dévoués sont acceptés dans la mosquée. En tant que touristes nous devons respecter leur dévotion et attendre dehors qu’ils finissent leurs obligations religieuses. J’en profite pour manger dans la place qui ne manque pas de restaurants, certainement pas les moins chers mais pas chers quand même.
Je profite donc de ce moment plutôt spécial qui est l’appel à la prière. Bon à mes oreilles d’infidèle cela sonne plus comme un cri dissonant, un seul mot rallongé pendant des longues minutes et amplifié par les hauts parleurs éparpillés dans le quartier. Je ne sais sincèrement quoi en penser. Je suis tout de même émerveillé par la façon dont il régule l’activité des croyants ! Partie des commerces s’arrêtent totalement, les gens s’arrêtent exprès, le temps s’arrête pour montrer son respect à Allah ! Seul et vrai seigneur de nous tous. N’étant pas croyant je suis toujours fasciné et quelque part ému par les actes de foi.
La Mosquée Bleue n’est pas seulement un magnifique exemplaire d’architecture, majestueuse et splendide : c’est aussi une vraie et propre introduction à l’Islam. On y trouve des explications sur ce qui signifie l’Islam, qu’est-ce que cela représente, son histoire, ses moments forts, ses vertus. On peut trouver des pamphlets expliquant comment concilier science et religion, des Corans en distribution en toutes les langues et même des croyants (bénévoles ?) pour expliquer la signification de tout détail présent dans la mosquée. Ce que je vois est un vrai effort de faire comprendre la pensée islamique sans m’en sentir oppressé, mais il faut dire que je n’ai pas été obligé de porter une burka… Dans mon scepticisme religieux tout cela me semble admirable quoique parfois tiré par les cheveux. En particulier toute la conception de la femme. Qui me semble être tantôt célébrée et admirée, tantôt oppressée et oubliée. Cela mériterait sans doute de se plonger un peu dans les lignes du Coran.
Je sors de là avec un Coran à la main et les idées extrêmement confuse sur l’Islam, une religion avec un message d’amour et accueillante, souciante des autres et qui demande une dévotion totale aux valeurs qu’elle représente mais avec un arrière-goût de méfiance, de contradictions et d’incompréhension. Il n’y a pas que l’Islam qui a eu cet effet sur moi et souvent le sens du message dépend plus des gens qui le communiquent que des sacres écritures.
J’ai encore le temps de me balader un peu avant de devoir chercher un moyen pour arriver à la gare de Söğütlüçeşme (je vous défie à prononcer ça !). Je finis par rentrer dans la Basilique Citerne : c’est une drôle d’association de mots. Il s’agit en fait d’une citerne construite sous les ordres de l’empereur Justinien en dessous d’une place où autre fois il y avait une basilique.
Je ne vais pas mentir c’est une grande cave pleine de colonnes et de touristes. Cela ne lui empêche pas d’avoir son charme avec un jeu de lumières bien pensé. J’y retrouve notamment une immense tête de méduse que je cherche pendant une bonne dizaine de minutes sur le haut des colonnes alors que c’est bien écrit qu’il s’agit de la base et surtout qu’elle est plus loin, après le panneau. Enfin aujourd’hui je suis bien confus on dirait.
Après une petite balade dans le parc devant le Palais Royale (en essayant de résister l’envie d’y rentrer) je me décide à essayer de trouver cette fameuse gare de Soguleştclem… Sogülütschesm… Sugutleceşme, bon sang personne ne parle anglais et je n’arrive même pas à prononcer Söğütlüçeşme !! Moral de l’histoire je n’écoute pas mon instinct de prendre le Marmara Express qui semble aller directement de Sirkeci à Sugutluscsss… l’autre gare ! Je me fie plutôt aux conseils devinés du turque/anglais des commerçants et je prends un tram pour m’y rendre.
C’est une véritable circumnavigation d’Istanbul que j’effectue. Il me faudra plus d’une heure pour arriver à l’autre gare. Je rate ainsi l’occasion de monter sur le train et tenter ma chance : ma consolation est qu’il faut composter son billet pour rentrer donc je n’aurais sûrement pas pu rentrer quoiqu’il en soit. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment une consolation. Allez c’est reparti, je demande pour de bus pour Ankara. Il doit y en avoir un paquet, c’est sûr.
Je me dirige ainsi avec une très vague idée vers (peut-être) Harem Otogari ou il y a (éventuellement) des bus qui vont… en fait je ne sais pas trop où est-ce qu’ils vont ! On verra bien. Cette fois en tout cas je me sers du Marmara Express et peut-être parce que je dois avoir vraiment une tête désespérée je trouve finalement quelqu’un qui m’adresse la où il faut. Un allemand qui vit à Istanbul. Il ne sait pas exactement de ce Harem mais le monsieur à côté nous explique, la dame d’en face le corrige, l’autre jeune en rajoute une couche et en 3 minutes une bonne dizaine de personnes débâtent le meilleur moyen pour arriver à Harem. Il faut que je prenne un bus, mais les bus ne sont pas très clairs et je n’en vois aucun qui dise Harem. Une fille qui me voit perdu me fait monter avec elle ! Bon faisons confiance on verra bien où je termine. Des jeunes sur le bus veulent bien m’indiquer ou je dois descendre et une autre fille un peu à l’avant a pris la peine de demander au chauffeur de s’arrêter pour moi là où il faut. Je me sens bien accueilli et bien traité à dépit de la fatigue et du stress.
Plus de bus pour Ankara ! Le destin s’acharne sur moi ! Mais encore une fois un monsieur me vient en aide. En fait j’avais tout mal compris, il ne faut pas demander le bus pour Ankara, il faut juste gueuler Ankara jusqu’à ce le bon chauffeur nous entende. Je suis ainsi mon guide à coup de Ankaraaaa ! Ankaraaaa !
Tout est bien ce qui se finit bien, un petit bus me prendra en passager vers 22h30. Quelle folie cette journée.
Il me reste le temps de faire quelque chose que je n’avais pas prévu et qui couronne parfaitement cette journée : le coucher de soleil. Je suis du bon côté du Bosphore pour regarder ce qui me semble le parfait corollaire d’une première partie du voyage. Sans même m’en rendre compte je ne suis plus en Europe, et je vois le jour se coucher sur l’ancien continent. Mes bonds nocturnes d’un pays à l’autre, sur les empreintes de premières civilisations, m’ont mené aux bords d’un continent et maintenant je fais mes premiers pas sur un nouveau, un continent que je n’avais jamais effleuré avant.
Après une journée si effrénée, le chaos d’Istanbul qui encore bourdonne dans mes oreilles, c’est un moment drôlement calme. J’ai hâte de voir ce même soleil se coucher sur le Caucase, hâte de longer le Kazbek, hâte d’admirer l’Elbrous, hâte de respirer l’air de montagne, de me purger dans les glaciers, hâte de sentir me poumons se vider de leur oxygène, hâte de ce moment où on pèse chaque pas à sa juste valeur, j’ai hâte d’être là où nul obstacle ne peut cacher l’horizon.
Bon pour l’instant j’apprends à dormir sur un tout petit siège, dans un bus avec des amortisseurs probablement cassés et la musique turque à fond ! Va savoir qu’est-ce qui me rend content d’être là !
Sur ce je te salue, on se reverra à Ankara !
Alpinismement
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